Les Églises évangéliques genevoises pactiseront-elles avec l’État?

Etre en lien avec l’Etat peut paraître anodin pour certains chrétiens, mais c’est une partie de l’identité des Eglises évangéliques genevoises qui a été remise en cause, le 30 janvier. Dans la salle principale de l’Eglise évangélique de Montbrillant, des pasteurs, des représentants et des responsables d’Eglises se sont réunis pour discuter des implications pratiques et idéologiques d’une mise en relation avec l’Etat de Genève. Organisée par le REG (Réseau évangélique de Genève), cet événement s’inscrit dans le cadre des rencontres théologiques que la faîtière propose annuellement.
D’«Eglise libre» à… «Eglise»?
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En effet, depuis décembre 2019, les communautés religieuses peuvent établir formellement une relation avec l’Etat de Genève. Comme nous l’avons relayé depuis juillet 2022, cette possibilité est en réalité une condition: notamment à la célébration de baptêmes dans l’espace public, mais aussi pour le prélèvement d’une contribution religieuse volontaire lors de l’imposition des contribuables. Comme l’a indiqué Michael Mutzner, collaborateur scientifique à Christian Public Affairs, «presque aucune communauté évangélique ne semble avoir franchi le pas à ce jour». Thierry Bourgeois, président du Réseau évangélique de Genève et pasteur à l’Eglise évangélique libre de Carouge, l’a en effet précisé: les Eglises évangéliques se distinguent historiquement des protestants parce qu’elles sont «libres» de l’Etat.
Dans une salle assez peu remplie, l’après-midi s’est ouverte sur deux présentations de Philippe Henchoz, pasteur à l’Eglise évangélique de Meyrin, et d’une députée au Grand Conseil (parlement de l’Etat de Genève) qui a préféré garder l’anonymat. Le premier, dont l’entretien exclusif paraîtra dans le magazine mensuel Christianisme Aujourd’hui, a souligné l’importance de nouer des relations avec ses autorités, afin de les rassurer dans une période où le courant évangélique est souvent réduit à ses franges les plus extrêmes. Dans une présentation dense, il a notamment évoqué les problématiques de la posture ambivalente du chrétien face à l’Etat (soumission ou résistance?), les garanties de libertés d’un Etat de droit et la différence entre une tendance laïque «dure» (exclusive, à la française) et «ouverte» (inclusive, à la suisse).
Pour sa part, l’élue chrétienne évangélique a brouillé les frontières entre l’Eglise et l’Etat, en affirmant que chacun des auditeurs faisait déjà de la politique. Elle a surtout insisté sur la place de l’Eglise en tant qu’acteur dans la cité en citant Thierry Le Gall, (Un avenir, une espérance, éd. du Cerf): «Si l’Eglise disparaissait, est-ce que cela se verrait?» et a rappelé que l’Eglise n’était pas appelée à dominer l’Etat mais à le servir en étant sa conscience, en citant Martin Luther King: «Si l’Eglise ne retrouve pas son ardeur prophétique, elle devient un club social.»
Des évangéliques encore partagés sur le sujet
La table ronde qui a suivi, modérée par Michael Mutzner, a donné la parole à deux pasteurs en plus des intervenants précédents: Jean-René Moret, pasteur à l’Eglise évangélique de Cologny et prochain secrétaire général des GBEU (Groupes bibliques des écoles et universités), et Thierry Bourgeois. Et si Philippe Henchoz et la députée au Grand Conseil sont les partisans d’une mise en relation avec l’Etat, Jean-René Moret, dont l’entretien exclusif paraîtra également dans Christianisme Aujourd’hui, serait moins prompt à nouer de tels liens.
L’échange a été riche, mais c’est surtout la signature de la déclaration d’engagement du Règlement d’application de la loi sur la laïcité de l’Etat qui a divisé. En effet, celle-ci proscrit «toute forme de discrimination [… à l’égard du] sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle, de l’identité ou de l’expression de genre» et se ponctue sur la reconnaissance de «la primauté de l’ordre juridique suisse sur toute obligation religieuse qui lui serait contraire, en particulier s’agissant du droit de la famille». Là-dessus, l’élue a insisté qu’il ne s’agissait que d’une répétition des exigences contenues dans la loi sur l’égalité, à laquelle les Eglises sont de toute manière soumises. Jean-René Moret, pour sa part, a affirmé qu’il y avait une distinction entre être soumis à la loi et signer pour donner son accord. Philippe Henchoz a indiqué qu’il ne voyait pas de problèmes à signer ce texte dans le cas de Genève et Thierry Bourgeois a également insisté sur le fait que les Eglises ne pratiquaient de toute façon pas de discrimination.
Enfin, l’événement s’est ponctué sur un message de Ruben Binyet, pasteur à l’Eglise ICF Genève. Il a encouragé son auditoire à vivre une Eglise qui n’est «ni sectaire, ni complice, ni conquérante» en se fondant sur 1 Pierre 2, 4-17. Il a notamment interpellé les personnes présentes en affirmant qu’il est mauvais de rechercher la persécution et qu’à l’inverse, une Eglise conquérante était une communauté «qui avait perdu de vue son roi». Il a conclu la journée en rappelant que la raison d’être de l’Eglise est d’être tournée vers le monde et de faire briller l’amour de Dieu vers ce monde.
Erratum:
31 janvier 12h15 : «une répétition de la loi sur la laïcité» -> «une répétition des exigences contenues dans la loi sur l’égalité»