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Jean-Claude Guillebaud: une conviction forte permet un vrai dialogue

Jean-Claude Guillebaud, le sourcil broussailleux et l'oeil vif, n'aime pas ceux qui tiennent mordicus à un dogmatisme et préfèrent l'intolérance à l'affrontement serein à d'autres façons de croire et de penser. A l'heure où les croyances ne sont pas en odeur de sainteté, l'écrivain rappelle avec un chaleureux aplomb qu'une conviction solide, doublée d'un esprit critique, permet l'ouverture à un véritable dialogue. Mercredi 7 décembre, il en a fait la démonstration à l'Université de Lausanne à Dorigny. Interview.
Evangéliques.info

« Toute croyance est un pont jeté sur l’abîme du monde et du doute, a-t-il expliqué mercredi dernier à l’Université de Lausanne à Dorigny, si votre conviction est dogmatique, c’est-à-dire fragile, vous allez traverser le pont avec un char d’assaut, sourd à tout et les yeux fermés pour ne pas voir le gouffre sous soi. Si votre confiance est solide, vous franchirez la passerelle sans vous presser, sans craindre de regarder l’abîme et de voir du même coup les autres ponts qui ont été jetés à votre gauche et votre droite, sur le même précipice ». Jean-Claude Guillebaud estime que toute crispation sur un savoir ou une croyance révèle en fait une fragilité de la conviction, menacée de s’effondrer à la première confrontation.
L’ancien grand reporter au Monde et au Nouvel Observateur préposé aux catastrophes et aux tragédies de la planète, a ressenti le besoin, au milieu des années 80, de s’arrêter pour prendre le temps de réfléchir aux changements du monde dont il était le témoin, plutôt que de sombrer dans le cynisme. « Toi qui viens du journalisme, c’est-à-dire de nulle part, lui a conseillé un jour le philosophe Michel Serres, travaille à faire communiquer tous les savoirs, qui ont tendance aujourd’hui à être fragmentés, parcellisés, chacun étant enfoncé dans sa discipline, sans aucune vue d’ensemble ». Ce que Jean-Claude Guillebaud s’est efforcé de faire en en entrant aux éditions du Seuil comme directeur littéraire chargé des sciences humaines mais aussi en s’attelant à l’écriture d’essais pour comprendre le sens de la mutation vertigineuse dans laquelle notre monde est embarqué. C’est ainsi qu’ont paru coup sur coup « La trahison des lumières », couronné en 1995 à Genève par le Prix Jean-Jacques Rousseau, « La tyrannie du plaisir » en 1998, « Le principe d’humanité » en 2002 et enfin, dernier ouvrage en date, « La force de conviction ».

Pourquoi ce dernier livre ?
J’ai essayé de répondre à une question simple : qu’est-ce qui nous arrive ? Nous sommes tous habités par la même inquiétude face à un monde qui se meurt, tout en ayant de la peine à discerner celui qui émerge. Nous éprouvons un sentiment d’étrangeté face à un environnement planétaire de plus en plus indéchiffrable. Comment affronter ces changements sans perdre le moral ? Contrairement à mon ami Régis Debray avec qui je partage beaucoup de réflexions, je pense les choses sur le mode lucide et optimiste, alors qu’il cultive volontiers une pensée « grognon ». Je suis persuadé que ce qui peut nous tenir debout, c’est la force de conviction, cette énergie étrange qui nous fait agir. Il faut croire à quelque chose pour vivre. On n’échappe pas à la croyance, cette capacité à adhérer à quelque chose, qui n’est pas forcément d’ordre religieux. Même le sceptique doit croire à son propre scepticisme. La conviction n’est pas forcément religieuse. Une société ne peut pas durer si elle ne s’appuie pas sur un socle de convictions commun : ensemble nous devons former un tout, pas un tas.

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Les croyances au 20e siècle sont devenues folles et ont fait des millions de morts. Comment croire aujourd’hui, à l’heure du doute face aux adhésions rassembleuses et aux utopies trompeuses ?
Il nous faut réapprendre à croire sans perdre son esprit critique. Pour être capable de s’ouvrir à l’autre, il faut d’abord être ferme dans sa conviction sans avoir peur de l’autre. La solidité de sa confiance permet de se réjouir que d’autres croyances existent, d’être convaincu que celui qui m’est étranger est peut-être porteur d’une part de vérité qui me manque. On est plus intelligent à plusieurs !

Vous refusez donc d’adopter un profil bas, comme beaucoup le font, soit disant pour ne pas blesser l’autre ?
Pas question de réviser mes convictions à la baisse pour dialoguer avec l’autre. Dialoguer, ça ne consiste pas à dire qu’on pense la même chose.

Vous ne faites pas mystère de votre engagement chrétien.
Je suis sensible au christianisme de la protestation, à la profonde subversion du message évangélique, de son refus de l’oppression. L’espérance judéo-chrétienne n’est pas l’abandon du monde à son destin. Je récuse l’idée de tragique et d’inéluctable : nous sommes tous co-responsables du monde. Pas question de baisser les bras face à l’explosion des inégalités, d’accepter l’oppression d’une nouvelle caste de « maharadjas » de la finance et de l’économie mondialisée, d’accepter la déshumanisation, de la dépossession de la volonté démocratique. Croire, c’est une mise en marche, les yeux grands ouverts.
Nicole Métral (Protestinfo)

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