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La foi: trop sérieuse pour ne pas en rire

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Sous le titre «Laughing pilgrims» (Le rire comme pélerinage), un professeur de théologie américain revisite la Bible et la vie spirituelle en relevant les manières dont l’humour peut l’enrichir Howard Macy, Laughing Pilgrims, Paternoster Press
Evangéliques.info

Il y a eu Adrian Plass et son Journal intime d’un chrétien chaotique et, sous forme de dessins humoristiques, les albums Crises de foi. Mais les œuvres comiques chrétiennes en français se résument à peu près à ces deux best-sellers. Le cliché de la foi comme un truc sérieux, comprenez barbant, a la peau dure. Rire, oui, mais pas avec la foi.
Dommage car l’humour, les publicitaires l’ont compris depuis belle lurette, est un puissant canal. Ceux-ci ne gaspillent pas des millions juste pour nous divertir. Le rire apporte quantité de bienfaits. Il est antidépresseur. Je me souviens d’une femme qui avait de gros soucis personnels et aurait normalement dû être suivie en psychothérapie. Par chance, au bureau, elle avait comme collègue un boute-en-train complètement déjanté qui la faisait rire aux larmes chaque jour que Dieu faisait. Une année de ce régime lui a fait autant de bien sans doute qu’une thérapie en bonne et due forme.
Autre anecdote: un missionnaire dont je tairai le nom mais qui se reconnaîtra sans doute et me pardonnera, aurait bien voulu contacter François Silvant de son vivant pour le remercier. Cet humoriste romand n’était pas le portrait craché d’un religieux, mais chaque fois que, dans sa brousse camerounaise, ledit missionnaire avait un coup de blues, après une journée passée à réparer des cœurs et recoller des Églises, il se passait une cassette vidéo de François Silvant.
–CREDIT–
L’humour au service de la prédication
Je mettrais un ou deux doigts au feu que vos prédicateurs favoris sont pleins d’humour. Une blague toutes les cinq minutes relance l’attention d’un auditoire. Commencez votre prédication par une vanne bien sentie et vous le mettez dans votre poche. J’ai personnellement testé l’efficacité de celle-ci?: «Nous prenons le chapitre 3 de Matthieu. Si vous n’avez pas de Bible, mettez-vous à côté d’un chrétien?!»
Le Paul Freiburghaus de la grande époque était passé maître dans cet art de prendre ses auditeurs à contre-pied. Un message de son crû, souvent dur dans sa teneur et sa conclusion, était toujours réhaussé de piques aux autres pasteurs, de gorillages des travers typiques des gens d’Église et de passages bibliques tordus?: «De loin, le père guettait le retour de son fils et lorsqu’il le vit, il se précipita vers lui et… “Pouah! tu pues! Va vite prendre une douche!”». Ici, la paraphrase décalée se voulait pédagogique?: mettre en évidence la grâce de Dieu qui nous accueille inconditionnellement. Malgré ses hauts-le-cœur.

L’humour au service de la foi
Tous ne sont pas prédicateurs. Mais le rire, le «fun» des Québécois, peut devenir une partie intrégrante de tout cheminement spirituel chrétien. L’humour peut être un révélateur précis de nos travers humains, quitte à les exagérer. Le premier de ces travers?: celui qui nous fait croire que nous sommes au centre de l’univers, le complexe du PDG du cosmos. Quel chrétien n’a jamais agi comme si tout dépendait de lui?? Celui qui a une trop haute opinion de lui sera forcément risible un jour ou l’autre. Les chrétiens passent leur temps à se prendre très au sérieux. De telles vies ont besoin de joie pour garder une bonne perspective. Si on prend sa sanctification trop au sérieux, on risque de devenir un légaliste obsédé. L’humour nous aide à nous voir et à nous accepter plus pleinement. Cela n’est pas loin de l’humilité. Et l’humour, en tant que miroir, peut amener ensuite à la repentance. Et si nous apprenions à revisiter nos échecs et nos déceptions avec de l’humour plutôt qu’avec la colère et de l’apitoiement?
L’humour est peut-être aussi un des moyens de saisir la grâce, qui est parfois difficile à cerner et à comprendre. L’humour est aussi un chemin pour aller vers la sainteté. La vraie sainteté est joyeuse et communicative et pas crispée et enfermante.

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Trier et désapprendre
L’humour est en règle générale une expérience partagée. Or une bonne proportion de l’humour qui emplit nos médias est vil, en-dessous de la ceinture ou dégradant, flattant toujours les mauvais côtés de la nature humaine. Il fait passer l’innocence pour de la naïveté, la gentillesse pour de la bêtise. Aussi, l’exercice sain et saint du rire passe par une forme de discipline. Le Psaume premier parle du «banc des moqueurs». Une seule chose à faire?: se désolidariser.
Howard Macy propose un test assez simple?: cherchez s’il y a un bouc émissaire. Qui va trinquer pour cette blague?? Qui est l’invité involontaire du dîner de cons?? L’humour négatif abaisse, salit. L’humour positif éclaire?; il révèle les motivations, les ambiguïtés, les potentialités. Le rire positif crée des ponts, il unit, il désamorce les tensions. Il adoucira un message difficile à
entendre.
Il est ici vital de se connaître et de connaître les barrières de l’autre pour ne pas le faire souffrir. Deux amis pourront se saluer d’un sonnant «Salut gros tas! Tu conduis toujours ta poubelle ?» mais c’est la catastrophe assurée pour une première rencontre. Des chrétiens pourront rire de la célèbre blague «J’ai un corps de dieu. Malheureusement, c’est celui de Bouddha», mais évitez de la raconter avec un Tibétain dans les parages. On l’a compris, l’humour positif donne volontiers dans l’autodérision, qui est aussi et sans surprise, l’un des traits caractéristiques de l’humour juif.

Relire la Bible sous un autre jour
De prime abord, la Bible n’est pas un livre drôle. Mais le livre des livres se doit d’être à la hauteur de notre humanité dans toutes ses composantes. Vous ne trouverez pas grand-chose qui prête à rire dans le Coran. Avec un brin d’ouverture, on se rend compte que dans la Bible, le comique borde très souvent le tragique. Et pas seulement le comique ajouté, du style «L’arche de Noé a nécessité plus d’un miracle, notamment pour les termites», mais de vraies scènes cocasses et savoureuses.
Pensez à l’épopée de Jacob au pays des arnaqueurs, à Zachée sur son arbre juché ou à Jonas, l’antiprophète qui fait vraiment tout à l’envers. Pensez à l’histoire de Balaam et de Balak dans le livre de Josué?: une ânesse se prend de bec avec son maître. Et Balak. Il faut imaginer le prince vert de rage au bout du troisième autel, avec rituel de sacrifice et tout le tremblement, qu’il a bâti pour rien. On l’entend presque pester?: «Caramba, encore raté?!». Si ces scènes devaient être tournées en film, ce serait évident. Un régal pour n’importe quel réalisateur.
Nous voyons Jésus comme un personnage sérieux. «Jésus pleura» est un verset, mais vous pouvez vous épuiser à chercher un
«Jésus rit de bon cœur». N’était-il pas «l’homme de douleur», après tout? Mais là encore, Howard Macy propose de relire Jésus sous l’angle du pédagogue facétieux plutôt que du maître sévère. Et il faut reconnaître que c’est tentant. Grosso modo, face aux pharisiens cela donne?: «Vous essuyez vos bols pour éviter de manger un moucheron mais vous gobez un chameau?!» ou «Bien sûr, si votre fils tombe dans un silo le dimanche, vous le laissez s’y noyer, n’est-ce pas??». Si on veut rendre compte de son enseignement imagé, on pourrait actualiser en disant?: «Il est plus facile d’entrer avec une Mercedes dans une chambre à coucher que dans le Royaume de Dieu avec un gros compte en banque». Ses paraboles sont remplies de personnages caricaturaux et donc de satire.
Hyperbole ou euphémisme, surprise, renversement et sarcasme?: on trouve tous les ressorts de la comédie dans le discours prophétique, dans lequel Jésus s’inscrit?: «Vous coupez une bûche en deux. Avec un morceau, vous faites du feu pour cuire votre dîner et de l’autre une figurine et vous vous prosternez devant elle», ironise Ésaïe. Et bien sûr Élie au Mont Carmel, dans le genre sarcasme limite «scato?»: «Il ne se passe rien, mes chers. Votre Baal, il est en voyage? Il se soulage dans les buissons ?». Howard Macy trouve même du comique chez Paul le perfectionniste?: «La vie conjuguale est un tel défi que je voudrais vous l’éviter si je pouvais?!». C’est toute une lecture de la Bible qu’on s’est sans doute rarement permise.
En fait, le rire, l’humour est une question d’approche et de perspective générale de la vie. L’humour sain/t est seulement possible quand on a une rivière souterraine de légèreté dans le cœur, un arrière-plan de joie qui est un fruit de l’Esprit, une approche sereine et confiante. On dit rarement des chrétiens qu’ils ont «bouffé du clown»?; dans la culture populaire, ils ont plus souvent une mine d’enterrement qui ne fait vraiment pas envie. Howard Macy en est persuadé?: ça se soigne.
Joël Reymond

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