Au chevet de la spiritualité moderne: l’aumônier protestant se réinvente
Réfléchir à la manière d’accompagner «l’autre différent de moi: dans ses croyances, dans sa vulnérabilité, dans sa spiritualité, dans sa culture», tel est le thème des Journées francophones de l’aumônerie protestante qui auront lieu du 25 au 27 septembre à Allex dans la Drôme. Ce colloque, organisé cette année par la Fédération Protestante de France (FPF) et son service de l’Aumônerie des établissements sanitaires et médico-sociaux (AESMS), rassemble tous les trois ans aumôniers et représentants du protestantisme en France, en Belgique et en Suisse.
Pour en savoir plus, Evangeliques.info s’est entretenu avec Pedro Escobar, aumônier et référent pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui dirige cette édition. Il partage son regard sur les défis contemporains de l’aumônerie en milieu sanitaire et médico-social, et sur l’évolution de ce service essentiel.
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C’est la huitième édition de ce colloque. Pouvez-vous nous en dire plus sur la vocation de ces journées?
L’objectif est de réunir les aumôniers de la francophonie européenne – France, Belgique, Suisse – plus particulièrement ceux qui exercent en milieu hospitalier, sanitaire et médico-social afin de réfléchir ensemble. Cette année, nous serons 120 participants, ce qui est un très bon chiffre. L’événement est destiné aux aumôniers eux-mêmes et aux représentants institutionnels de la Fédération Protestante de France, de son équivalent en Belgique et en Suisse romande.
Le thème de l’accompagnement est au cœur de ces journées. Quels sont les principaux défis que rencontrent l’aumônerie aujourd’hui sur ce sujet?
Le colloque s’intitule «Accompagner: enjeux et défis pour l’aumônier en établissements sanitaires et médicaux-sociaux». Pour y répondre, nous commencerons par revenir aux fondamentaux de l’accompagnement, avec l’éclairage de Frédéric Rognon, professeur de philosophie des religions à Strasbourg.
Nous allons également nous pencher sur le défi d’accompagner l’autre dans sa différence, qu’il s’agisse d’interculturalité, de précarité ou de vulnérabilité. Cela nous pousse à nous interroger sur comment accompagner quelqu’un sans renier notre propre identité, notre foi protestante, tout en étant à l’écoute de sa quête.
De plus, nous constatons que l’accompagnement aujourd’hui ne se limite plus seulement au religieux. On voit émerger d’autres formes de spiritualité, liées par exemple à la nature ou à la Création. L’aumônier doit donc être en mesure d’accompagner à la fois le confessionnel et le spirituel, sans renier son identité chrétienne et protestante.
Au-delà des questions d’accompagnement en milieu hospitalier, le programme prévoit-il de s’élargir aux thématiques des aumôneries en milieu carcéral et militaire?
Oui, même si les journées sont organisées par le service de l’aumônerie des établissements sanitaires et médico-sociaux, nous aurons quelques intervenants et participants qui viennent des milieux carcéraux et militaires. Un atelier sera d’ailleurs consacré à l’accompagnement en temps de crise majeure de type guerre ou conflit armé, avec une équipe d’aumôniers de l’armée qui nous éclairera sur ce sujet.
De votre côté, en plus d’être ancien dans l’Eglise protestante baptiste de Thonon-les-Bains, vous êtes aumônier sur le terrain, à la fois en prison à Bonneville et à l’hôpital d’Annecy. Quelle influence a votre formation d’anthropologue et de théologien sur votre travail?
Ma formation me sert au quotidien. L’anthropologie m’aide à comprendre l’être humain dans son contexte social et culturel. Elle nous apprend à ne pas regarder l’autre à travers nos propres lunettes, même avec les meilleures intentions. En tant qu’aumônier, cela m’a permis d’identifier que, quelles que soient la culture ou les croyances, des thèmes universels reviennent souvent, notamment en fin de vie: la culpabilité, le remords, le regret et la quête du divin.
La théologie, de son côté, m’a d’abord aidé à mieux comprendre ma propre relation à Dieu, puis à reconnaître que les autres peuvent avoir un rapport à la foi qui diffère du mien, sans pour autant qu’ils soient dans l’erreur. Cette double approche m’est précieuse pour mieux connaître l’autre et l’accompagner.
La période du Covid-19 a été particulièrement difficile pour les aumôniers, souvent privés d’accès aux établissements. Le constat est-il toujours le même?
Non, aujourd’hui, la situation est globalement rentrée dans l’ordre. Si des obstacles persistent, ils sont souvent liés à une mauvaise compréhension de la laïcité. Paradoxalement, la crise du Covid a été bénéfique. Elle a permis aux hôpitaux de réaliser et de reconnaître que l’aumônerie n’a pas un statut associatif, mais qu’elle est un service à part entière.Le statut de l’aumônerie est bien distinct et relève d’un cadre spécifique, ce qui a été rappelé par la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) et par les Agences Régionales de Santé (ARS).
D’ailleurs, en mars de l’année dernière, la DGOS a mis à jour la circulaire régulant l’aumônerie hospitalière, prenant notamment en compte les difficultés rencontrées pendant la pandémie. Cette nouvelle circulaire est extrêmement favorable et a permis une meilleure compréhension du rôle de l’aumônier. Nous constatons d’ailleurs une croissance de la présence des aumôniers dans les hôpitaux publics en France. A titre d’exemple, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, le nombre d’aumôniers protestants dans les établissements sanitaires et médico-sociaux a doublé en cinq ans.
Propos recueillis par David Métreau