Skip to content

«Certains chrétiens pensent que leur avenir en Syrie est compromis»

© Bernard Gagnon / Cathédrale patriarcale grecque-catholique melkite Notre-Dame-de-la-Dormition, Damas, Syrie
Après l'attentat-suicide du 22 juin contre l’Eglise Saint-Elie à Damas, qui a fait 22 morts, Matthew Barnes, expert de Portes Ouvertes pour la Syrie, alerte sur la peur grandissante des chrétiens du pays face à l’insécurité. Entretien.
David Métreau

Quel est le sentiment qui domine parmi les chrétiens de Syrie, quelques jours après cet attentat meurtrier attribué à l’Etat islamique?

Depuis cet attentat, les chrétiens vivent dans la peur. Ils se sentent très vulnérables. Cet événement est perçu comme une preuve que le gouvernement ne parvient pas encore à maîtriser les milices armées. Pour la communauté chrétienne, c’est un signal alarmant.

Publicité

Nous avons pu parler avec plusieurs chrétiens sur place. L’attaque de dimanche dernier a profondément choqué la communauté. Il règne un sentiment d’insécurité extrême. Certains pensent que leur avenir en Syrie est compromis, qu’il est temps de partir. La peur est palpable.

A la suite de l’attentat du 22 juin, le patriarcat orthodoxe de Damas a dénoncé l’échec du gouvernement à protéger la communauté chrétienne. Que pensez-vous de cette critique?

C’est compréhensible. Les chrétiens attendent du gouvernement qu’il les protège. Mais il faut aussi reconnaître que le nouveau gouvernement manque de moyens sécuritaires. Il ne peut pas poster des soldats devant chaque église. Toutefois, ils auraient peut-être pu anticiper cette attaque ou agir contre les cellules terroristes encore actives. Je ne peux pas juger depuis l’extérieur, mais je comprends l’amertume des chrétiens.

Ce n’est pas la première fois que les chrétiens sont pris pour cible en Syrie. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?

En effet, même avant cette attaque, les chrétiens avaient déjà été ciblés, notamment par Daech. Mais c’était différent. A l’époque, les habitants fuyaient souvent avant que les djihadistes n’entrent dans leurs villages, surtout dans le nord-est de la Syrie, où vivaient beaucoup de chrétiens assyriens. Ils ont énormément souffert à cause de Daech.

Il y a quelques mois, des attaques contre les Alaouites avaient également fait des victimes parmi les chrétiens. Certains médias avaient parlé de génocide. Que s’est-il vraiment passé?

Début mars, dans l’ouest de la Syrie, il y a eu une vague de violence entre les Alaouites et des milices armées. Il semble que cela ait commencé par une attaque des Alaouites – un groupe religieux dont est issu l’ancien président Bachar Al-Assad, lié à l’islam chiite – contre les nouvelles forces de sécurité. Les forces de sécurité sont revenues, ainsi que d’autres milices et elles ont commencé à tuer des Alaouites. Plusieurs chrétiens ont été tués pendant ces jours terribles, mais ils n’ont pas été pris pour cible en raison de leur foi, d’après nos informations. Ils se sont trouvés au mauvais endroit, au mauvais moment.

Malheureusement, il y a eu beaucoup de fausses informations. Certains médias ont fait les gros titres en disant que des chrétiens et des alaouites étaient massacrés. Je pense que c’était assez irrespectueux envers le véritable groupe qui était visé. Ce sont les alaouites qui ont été visés et qui ont beaucoup souffert pendant cette période.

Les chrétiens sont-ils libres de pratiquer leur foi en Syrie aujourd’hui?

La réponse est nuancée. Les chrétiens «historiques» – orthodoxes, catholiques, presbytériens – peuvent vivre leur foi librement, posséder une bible, se réunir, avoir leurs églises. Mais il est interdit de prêcher l’Evangile aux musulmans ou de chercher à les convertir. C’est illégal selon la tradition islamique et la nouvelle constitution basée sur la charia. Les convertis issus de l’islam, eux, sont en danger. Leurs premières difficultés viennent souvent de leur famille ou de groupes radicaux. Le gouvernement actuel ne s’est pas encore montré répressif, mais la situation reste fragile.

Cet attentat survient dans un contexte de levée de certaines sanctions contre la Syrie et d’un rapprochement avec certaines nations occidentales notamment. La fin de ces sanctions peut-elle être positive pour la communauté chrétienne?

Absolument. Cela faisait longtemps que les chrétiens demandaient cette levée. La pauvreté extrême pousse les gens à l’extrémisme, et 90% de la population syrienne vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. La fin des sanctions pourrait relancer l’économie et redonner espoir. Les chrétiens espèrent que ces nouvelles relations internationales pousseront le gouvernement à être plus responsable et protecteur.

Les tensions régionales entre Israël, le Hamas, l’Iran et le Hezbollah peuvent-elles affecter les chrétiens en Syrie? Quel est le risque d’embrasement de la région?

La Syrie reste instable et le risque d’un nouveau conflit interne existe. Le gouvernement syrien est resté silencieux pendant la récente guerre entre Israël et l’Iran. Dans le passé, la Syrie a toujours été l’alliée de l’Iran, mais aujourd’hui, elle reste en dehors du conflit. Lorsque le gouvernement de Bachar al-Assad est tombé, Israël en a profité pour bombarder presque toutes les structures militaires syriennes. Cela signifie donc que le gouvernement actuel n’a pas vraiment beaucoup de puissance militaire. Beaucoup de leurs avions, hélicoptères, chars et stocks de munitions ont été détruits au cours de ses premières semaines au pouvoir. La Syrie est militairement affaiblie, il semble donc peu probable qu’elle entre en guerre. Cela dit, dans cette région, tout peut basculer très vite.

Comment les chrétiens peuvent-ils prier pour la Syrie?

Priez d’abord pour la stabilité et la fin des attaques terroristes. Priez pour que les chrétiens aient le courage de rester dans le pays et de s’y engager. La Syrie a besoin de l’Eglise. Elle y est enracinée depuis l’époque de Jésus. Priez aussi pour la guérison physique et émotionnelle des victimes de l’attentat, pour les familles endeuillées, et pour que l’Eglise soit lumière dans les ténèbres.

Propos recueillis par David Métreau

Thèmes liés:

Publicité