Skip to content

La Bible relativisée

La Bible est-elle vraiment parole divine? Peut-on enfermer un Dieu infini dans des mots? Un débat ancien revisité par un expert contemporain
Evangéliques.info

Le monde moderne a jeté un défi à la foi réformée. Si elle veut relever le gant, l’une de ses premières tâches sera de définir son attitude à l’égard de la Bible.
Certes, le problème de l’autorité des Saintes Écritures n’est pas nouveau. Dès les temps les plus anciens, le christianisme a su défendre l’autorité de la Bible contre ceux qui la critiquaient ou la niaient. Il a dû aussi la défendre contre le discrédit dans lequel elle était tenue au profit de la tradition (dans l’Église romaine). Mais, au XIXe et au XXe siècles, l’opposition contre l’autorité de l’Écriture n’a cessé de se renforcer et, depuis des années, l’Église (et très particulièrement l’Église de confession réformée) doit faire face à un courant très puissant de critique. Lorsque l’Église invoque l’infaillibilité de la Bible, elle se heurte à une opposition quasi-unanime et pas seulement à celle des libre-penseurs déclarés ou à celle du modernisme.

Deux arguments
Les critiques contemporains développent sans cesse deux arguments contre l’identification réformée de la Bible et de la Parole de Dieu.
En premier lieu, de l’avis de beaucoup, notre doctrine de l’inspiration de l’Écriture sainte serait en conflit notoire avec les conclusions des recherches historiques et critiques des siècles derniers. L’analyse des textes est présentée comme une preuve de l’insuffisance de la thèse réformée.
En second lieu, on nous affirme que l’identification de l’Écriture sainte et de la Parole de Dieu exclut la possibilité d’une foi chrétienne, en tant que confiance vivante et personnelle. Une foi qui aurait pour objet toute la Bible, prétendent nos critiques, ne peut plus être une conviction réelle et personnelle; la foi et la confiance ne peuvent se rapporter qu’à une personne vivante; mettre sa foi dans la Bible, au lieu de la mettre en Dieu, serait contraire à l’essence de la foi chrétienne.
–CREDIT–
De ces deux arguments, l’un est scientifique et inspiré par les recherches scientifiques; l’autre est religieux. J’ignore lequel, historiquement, a eu la plus grande influence; mais l’effet de ces deux arguments a été considérable et ses répercussions se font encore sentir aujourd’hui. Ils font partie d’un ensemble qui est devenu, à son tour, une nouvelle tradition, la «tradition critique» et ils paraissent tellement évidents à un si grand nombre de théologiens et de non-théologiens, que le point de vue réformé est considéré comme une tentative isolée pour sauver un conservatisme fossilisé et pour maintenir une tradition surannée, aujourd’hui rigoureusement indéfendable. Quiconque refuse d’accepter cette nouvelle et récente tradition critique est traité de «fondamentaliste», d’aveugle volontaire qui refuse de prendre en considération des faits simples et irréfutables.
On admet que l’ancienne doctrine de l’infaillibilité contenait un élément religieux: l’ardent désir de tout homme quant à la certitude en matière de salut. On en reconnaît même la valeur, puisque la certitude est un élément essentiel de la foi chrétienne.

Publicité

La Parole de Dieu selon Karl Barth
Au cours des trente années de développement de sa théologie, le théologien suisse Karl Barth a critiqué quelques points de son propre système; mais il est une doctrine à laquelle, de toute évidence, il n’a jamais apporté le moindre changement. c’est sa doctrine de l’Écriture, qui reste aujourd’hui exactement ce qu’elle était en 1926.
Dès 1926, Barth critiquait la position orthodoxe du XVIIe siècle, qui faisait de la Bible le résultat d’une dictée céleste. En 1947, il exprima la même critique dans une brochure intitulée: L’Écriture et l’Église, s’élevant contre l’erreur de l’Église qui considère que la Parole de Dieu est réellement contenue dans le livre des Saintes Écritures. Il y exprime sa conviction que cette erreur était un fruit du naturalisme. Impossible, selon lui, que la Parole de Dieu, du Dieu vivant et personnel, puisse être contenue dans un livre, car la Parole de Dieu, c’est l’Esprit de Dieu, Dieu lui-même dans sa majesté, sa souveraineté, sa réalité. C’est pourquoi Barth rejette énergiquement toute identification directe entre la Parole de Dieu et la Bible. Il admet cependant qu’il existe une certaine identité, mais une identité qui ne peut être qu’indirecte.
Je le répète, c’est là un problème qui touche directement chaque membre de l’Église lorsqu’il écoute la Parole de Dieu ou une prédication fondée sur cette Parole souveraine. Pour Karl Barth, dans la doctrine traditionnelle, l’inspiration devient l’attribut d’un livre, une sorte de qualité permanente; la Parole de Dieu devient statique. Selon Barth, la Bible est pour nous un témoin, humain et faillible, de la révélation originale de Dieu dans la chair, qui a eu lieu au cours des années 1 à 30 de notre ère. Telle est la seule révélation et il n’en est pas d’autre. De cette manière, il vous est possible d’accepter la critique historique tout en parlant d’autorité et d’obéissance.

Document humain
Assurément, l’Écriture sainte est un document humain. La Bible n’est pas une voix céleste, dans ce sens que les hommes n’y auraient eu aucune part. Mais c’est pourtant bien la Parole, écrite par des hommes. Nous employons les expressions de «révélation organique» et d’«inspiration organique» parce que nous reconnaissons quelque chose de la sagesse du Seigneur dans le fait qu’il prononce sa Parole au sein de notre propre histoire et dans un langage humain. Les hommes de Dieu parlèrent et écrivirent comme le Saint-Esprit les y poussait. La Parole de Dieu pénètre dans le monde et selon un processus historique. C’est là qu’est le miracle. Nous entendons une voix d’homme; et, dans cette voix humaine, c’est la voix même de Dieu que nous entendons. Voici ce que Paul écrit aux Thessaloniciens: «La Parole de Dieu que nous vous annoncions, vous l’avez accueillie, non comme une parole d’homme, mais comme la Parole de Dieu, ce qu’elle est véritablement» (1Thess. 2,l3).
Cette Parole se fraye son chemin au travers de la vie humaine, de l’histoire, du péché et du doute, de la révolte et de la conversion; au travers de l’histoire d’Israël et des nations. Jamais l’Écriture sainte ne minimise l’activité des hommes en tant qu’agents du Saint-Esprit.
L’argument le plus frappant avancé par Karl Barth contre la doctrine traditionnelle de l’inspiration est que nous ne pouvons enfermer Dieu dans un livre et que cette doctrine porte atteinte à sa liberté. Mais cette objection ne résiste pas à l’examen. En quoi donc «le soin singulier que notre Dieu a de nous et de notre salut» dont parle la Confession des Pays-Bas, à l’article «de la Parole de Dieu» (art. 3), serait-il une négation de sa liberté et de sa souveraineté? Car c’est bien «en étant poussés par l’Esprit de Dieu que les saints hommes ont parlé» de la part de Dieu (2Pie. 1,24), comme le souligne ce même article. Il y a donc une impulsion donnée par l’Esprit Saint. Bien loin d’attenter à sa liberté, nous constatons au contraire la manière, la méthode, par laquelle il exerce sa divine liberté: c’est précisément en nous donnant l’Écriture sainte. Voilà comment il est près de nous dans la Parole.
Et pourquoi Barth s’insurge-t-il contre l’affirmation que Dieu est présent dans la Parole? Nous ne pouvons, dit-il, disposer à notre gré de l’authentique Parole de Dieu; le christianisme n’est pas la religion d’un livre; la Parole de Dieu n’est pas contenue dans la Bible. Cette attitude semble très religieuse et empreinte du plus profond respect envers la souveraineté et la transcendance de Dieu.
Mais Karl Barth ne comprend pas la doctrine réformée; il ne comprend pas que c’est précisément parce que la Parole de Dieu est au milieu de nous, à notre disposition, tout près de nous, que nous avons une si terrible responsabilité. Certes, nous pouvons fermer nos yeux, nos oreilles et nos cœurs à la révélation, comme le firent les pharisiens et les sadducéens. Mais alors le Christ déclare: «Vous êtes dans l’erreur, parce que vous ne comprenez pas les Écritures, ni quelle est la puissance de Dieu» (Mat. 22,29).

Une parole proche
La révélation en Christ, tout comme la Parole de Dieu dans la Bible qui lui rend témoignage, n’est pas l’œuvre d’une propagande humaine. C’est la révélation de Dieu dans sa souveraineté, débordante de réalité et d’actualité! En présence de la Parole de Dieu, à mon foyer, dans l’Église et dans le monde, il n’y a, de notre part, que responsabilité. Nous n’emprisonnons pas Dieu dans un livre. Quel étrange argument! Il s’agit, bien au contraire, de la suprême actualité: «Ces choses ont été écrites, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant, vous ayez la vie par son nom», affirme Jean (Jn. 20,31).
La Bible ne peut pas être appelée obscure, parce que nos cœurs sont obscurcis. La Bible est une lumière et, si nous la jugeons selon les ténèbres de nos cœurs, nous ne sommes plus que des subjectivistes rendant dépendante de nos cœurs la lumière de la Bible. Pour autant que je puisse en juger, un tel subjectivisme, quoique paré de respect à l’égard de la Parole de Dieu, est une manière de se soustraire à la responsabilité qu’entraîne la proximité de la Parole.
Voilà plus de deux cents ans qu’on s’attaque à l’autorité de l’Écriture. Mais, dans toutes ces attaques, nous décelons la volonté de fuir loin de cette proximité dans laquelle la grâce du Seigneur cherche à nous atteindre. Lorsque la théologie moderne souligne le caractère humain de la Bible, la théologie réformée ne s’y opposera pas et elle s’acquittera de sa tâche avec le plus grand sérieux, en se mettant résolument à l’écoute de Dieu. Mais la conception nouvelle de la Bible est tout autre chose que la mise en relief de son caractère humain et instrumental. On va parfois jusqu’à parler de l’humiliation du Saint-Esprit dans les Écritures.
Mais soyons plus que jamais sur nos gardes quand nous voyons des arguments religieux combattre l’autorité véritable de la Parole écrite. De tout temps, les arguments religieux et pieux ont été les plus dangereux dans l’Église. Ne donnent-ils pas toujours une impression de sérieux et de respect?

Gerrit Cornelis Berkouwer
La Revue réformée, Janvier 2007

Thèmes liés:

Publicité