Prier au supermarché : les gens ne vont plus à l’église, elle vient à eux
Pour la première fois en Suisse, catholiques chrétiens, catholiques romains et réformés ont aménagé une chapelle dans l’enceinte d’un temple de la consommation. L’espace de méditation est à disposition des clients de passage comme des 2’300 employés de SihlCity, le gigantesque complexe qui remplace l’ancienne usine à papier. Au premier étage, au-dessus du café Starbucks, la salle aménagée est encore assez mal signalée. Au bout d’un couloir vitré, une vingtaine de chaises font face à un grand cierge et à une Bible. Toute de noir vêtue, la pièce est plutôt sombre, mais elle devrait prendre des couleurs avec l’arrivée, à l’automne, d’un important vitrail dessiné par Hans Erni. A l’arrière, un tapis de prière à l’attention des musulmans qui devront s’exécuter en silence pour ne pas gêner les autres visiteurs. L’offre se complète d’un espace de discussion assorti de deux bureaux, c’est là qu’évoluent les trois aumôniers et les bénévoles qui sont à l’accueil.
Pour l’aménagement de ce lieu, les églises zurichoises ont déboursé un demi-million de francs. 300’000 francs supplémentaires viennent encore compléter le budget annuel pour les salaires des 2,2 postes d’aumôniers et les frais de fonctionnement. Une somme que les églises peuvent largement se permettre, selon Joseph Arnold, l’un des porteurs du projet et ancien président du groupement des paroisses catholiques de la ville. Elles perçoivent des impôts ecclésiastiques sur les personnes physiques, mais aussi sur les personnes morales. Les contributions de la place financière zurichoise leur autorisent donc certaines audaces.
Et les promoteurs du projet ? Ils ont accueilli cette offre avec enthousiasme ! Dieter Bosshard, le directeur de SihlCity, confirme : je n’étais pas là à l’époque, mais je suis très heureux de la présence de cette église. Je suis moi-même chrétien et je constate que les gens ont besoin d’un lieu calme pour débrancher. On est loin du laïcisme à la française proclamé en Romandie.
Il y a quelques années encore, on se déplaçait pour aller à l’église. Désormais, pour que l’église reste au milieu du village, c’est elle qui se déplace pour aller là où vont les gens. Le constat du pasteur Jakob Vetsch, l’un des trois aumôniers de l’équipe, sonne comme un verdict. Mais l’homme à la carrure de rugbyman ne crache pas dans la soupe. « Notre offre est complémentaire à celle des paroisses traditionnelles. Les gens qui viennent ici ont souvent perdu le contact avec toute vie religieuse, mais ils cherchent toujours à donner un sens à leur vie ». A son avis, le capital confiance des églises est intact. Pour l’affirmer, il invoque son expérience acquise par l’aumônerie sur Internet, puis par SMS. Les visiteurs me posent des questions de base des religions, ils accueillent favorablement l’idée de trouver là un nouveau point de repère.
L’anonymat des visiteurs est un point central, souligne son collègue catholique Guido Schwitter. Il se veut rassurant : nous ne cherchons pas à convertir, mais uniquement à répondre aux demandes. Si elles concernent la foi, je n’hésiterai pas à être explicite. Sinon, j’essaierai d’établir avec les visiteurs leur prochaine étape à franchir.
Et l’islam ? Jakob Vetsch est clair : Je serai personnellement très favorable à ce qu’un aumônier musulman soit de la partie, mais il faudrait être parfaitement d’accord sur l’approche et la déontologie. De plus, il faudrait que les instances religieuses donnent leur feu vert. L’affaire n’est pour l’instant pas d’actualité.
Cette version moderne du confessionnal a déjà fait ses preuves dans la ville de Zwingli. La Bahnhofkirche, au premier sous-sol de la gare principale de Zurich, connaît depuis six ans un succès phénoménal. 300 à 500 visiteurs viennent se recueillir chaque jour et 1’700 entretiens sont dûment répertoriés chaque année, la moitié avec des personnes qui ne fréquentent plus les églises. « Je vérifie quotidiennement le fait que les gens réclament davantage de spirituel qu’il y a dix ans et qu’ils n’ont pas une mauvaise image de l’église, s’emballe Roman Angst, l’un des pionniers de cette aventure. Pourtant, il a fallu lutter âprement pour installer cette première chapelle dans une gare ». L’aumônier réformé se souvient des trois années de discussions entre communautés catholiques et réformées, suivies des cinq autres de négociations avec les CFF. Aujourd’hui personne ne conteste plus le bien-fondé de l’endroit. Malgré le succès incontesté, l’initiative peine à faire tache d’huile. Un projet à Lucerne a capoté, la faute aux réformés. A Berne une initiative est en phase d’étude depuis plus de trois ans et bien que plusieurs églises romandes aient manifesté leur intérêt, aucun projet sérieux n’est pour l’heure sur les rails.